Depuis quelques années, le processus d’intégration en entreprise est devenu un enjeu stratégique. Les recruteurs rivalisent d’ingéniosité pour séduire et fidéliser leurs employés.
« Génial », « super sympa », « que des bons souvenirs ». Ses premiers jours de travail au sein du cabinet de conseil One RH, Fanny Schlosser en parle avec un enthousiasme qu’on imaginerait plutôt réservé à des vacances en famille ou à un week-end entre amis. Mais qu’a-t-il bien pu se passer lors de son arrivée dans son nouvel open space ?
« Déjà, j’ai trouvé sur mon bureau une boîte décorée avec des petits mots de bienvenue, raconte cette consultante RH de 25 ans. À l’intérieur, il y avait mon téléphone professionnel, mais aussi des bonbons, un jus de fruits… On aurait dit un cadeau ! En plus, mes collègues avaient préparé un jeu pour que j’apprenne à les connaître. Ils avaient listé des anecdotes les concernant, telles que “je suis fan de tatouages” ou “j’ai été surprise par un alligator dans mon jardin quand j’étais jeune fille au pair en Australie”. Je devais “enquêter” subtilement pour attribuer à chaque personne la phrase qui lui correspondait. C’était super enrichissant et cela a permis de créer une cohésion d’équipe rapidement. Quand on démarre dans une entreprise, on est toujours un peu stressé. Moi, après tout cela, j’avais le sourire et hâte de revenir ! »
Des salariés plus exigeants
Cet accueil aux petits oignons vécu par Fanny est loin d’être un cas isolé. Depuis quelques années, l’intégration des nouveaux arrivants – appelée « onboarding » dans le jargon RH – est en effet devenue un enjeu stratégique pour les entreprises. Dans un contexte de guerre des talents et de nouveau rapport au travail (impulsé, notamment, par les nouvelles générations), les employeurs doivent faire la différence pour attirer – et fidéliser. Car les attentes et les exigences des salariés se sont élevées. Les chiffres ont d’ailleurs de quoi donner des sueurs froides aux recruteurs : d’après un sondage réalisé en 2019 par Cadremploi, 33 % des cadres déclarent avoir déjà démissionné à la suite d’une mauvaise intégration…
« L’onboarding est un moment décisif dans la perception que se fait un nouvel entrant de son entreprise, confirme Séverine Loureiro, conférencière et autrice de La petite boîte à outils de l’onboarding (Dunod). Aujourd’hui, les collaborateurs ne cherchent plus uniquement un emploi basé sur un échange de compétences contre rémunération : ils veulent rejoindre un collectif où ils pourront s’épanouir. À poste égal, un candidat va choisir la structure qui lui apporte, au quotidien, l’expérience la plus intéressante et la plus satisfaisante. Et c’est justement pendant cette phase d’onboarding qu’il va tester les promesses qui lui ont été faites pendant son recrutement. »
Impact sur l’image de marque
Les entreprises ont donc tout intérêt à ne pas rater le coche, aussi bien pour éviter des départs prématurés – qui vont forcément leur coûter cher – que pour soigner leur image. « En général, les gens parlent de leur entreprise à leur entourage quand ils la rejoignent ou qu’ils la quittent, fait remarquer Alexandre Grenier, co-fondateur de Workelo, une start-up qui propose des solutions d’onboarding clé en main et personnalisées. Travailler sur ces moments-là a donc un vrai impact sur la marque. »
Mais alors, qu’est-ce qu’un onboarding réussi ? Déjà, il doit commencer bien avant le début officiel du contrat. Le « préboarding », soit cette période entre l’acceptation de l’offre d’emploi et l’arrivée du salarié, est en effet essentiel pour ne pas perdre les futures recrues. Une enquête du cabinet de recrutement Robert Walters a d’ailleurs révélé que 14 % des entreprises se sont déjà vu poser un lapin le premier jour…
« En France, quand on passe d’une société à une autre, il y a souvent trois mois de préavis, et les collaborateurs peuvent se poser beaucoup de questions pendant ce laps de temps-là, souligne Alexandre Grenier. Les accompagner, leur donner une vision claire de ce qui les attend – tout en finalisant les démarches administratives et en leur fournissant des informations sur l’entreprise – permet de les rassurer et leur montrer qu’ils ont fait le bon choix. » Invitation à un événement, message de bienvenue du PDG ou envoi du trombinoscope des futurs collègues : tout est bon pour créer du lien et faciliter l’arrivée du nouveau salarié.
« Effet waouh »
Ensuite, le jour J, mieux vaut s’assurer que les conditions d’accueil de base sont réunies – récupérer un badge défaillant ou arriver dans un open space désert car l’équipe entière est en télétravail n’est pas franchement engageant. Pour marquer le coup, de nombreuses entreprises désignent un buddy (ou parrain) qui fera office de référent et pourra répondre aux questions de l’employé débutant. Offrir un kit de bienvenue contenant des goodies (mug, gourde, clé USB…) est aussi une initiative de plus en plus développée.
Mais certains employeurs vont plus loin dans l’opération séduction et cherchent « l’effet waouh », analyse Séverine Loureiro. « Cela passe beaucoup par des activités ludiques, type quiz ou escape game, mais il y a aussi des choses qui sortent du lot, analyse l’experte, qui est également responsable “expérience collaborateur” dans un groupe bancaire. Je me souviens d’une start-up qui, le premier jour, envoyait un chauffeur au domicile du nouveau salarié ! »
Les nouvelles technologies sont également très prisées pour rendre l’onboarding mémorable. L’Oréal, par exemple, a développé une application sur mesure, baptisée Fit, censée guider les collaborateurs dans leurs premiers jours au sein du groupe et les aider à en comprendre les codes. « Une entreprise nous avait sollicités pour développer un parcours d’intégration en QR Code, confie de son côté Alexandre Grenier. L’idée était de permettre aux salariés de découvrir les différents services de façon originale, en scannant les codes disséminés un peu partout dans les locaux. » Accenture, quant à elle, « onboarde » carrément ses nouveaux arrivants dans… le métavers.
Un dispositif qui profite à tous
Chez Doctolib, on mise plutôt sur le réel, mais l’objectif reste le même : « Créer des souvenirs », dit son DRH, Matthieu Birach. Ainsi, tous les nouveaux collaborateurs – ils sont entre 60 et 80, chaque mois, à rejoindre la société – démarrent par une semaine intense et commune de « Boot Camp ». « Nous essayons de leur donner toutes les clés pour s’immerger dans notre culture, nos valeurs, notre histoire, détaille le responsable. Notre fondateur passe ainsi deux heures avec eux. Ils ont aussi l’opportunité d’échanger avec un professionnel de santé (médecin, psychologue, kiné…) pour parler de son métier. Nous leur présentons également nos produits et outils internes. »
Ensuite, des sessions par branche (service client, vente, ressources humaines…) sont organisées, pendant plusieurs semaines, pour permettre aux nouveaux salariés de monter en compétences. Pour finir, les « Doctolibeurs » se voient proposer des formations à la carte. « On nous dit souvent qu’on y va fort sur l’onboarding, mais je le prends comme un compliment ! s’exclame Matthieu Birach. C’est notre programme chouchou – il existe d’ailleurs depuis la création de l’entreprise, et nous le faisons évoluer régulièrement. Notre but est à la fois d’offrir une expérience humaine marquante, mais aussi de mettre les gens dans une dynamique d’apprentissage. »
« Certains employeurs sont parfois réticents vis-à-vis de l’onboarding au prétexte qu’ils ne sont pas là pour “cocooner” leurs nouvelles recrues, indique Séverine Loureiro. Mais réfléchir ainsi, c’est voir uniquement le petit bout de la lorgnette ! Avoir des salariés qui se sentent bien, c’est positif en termes de responsabilité sociale. Et plus ils seront détendus et en confiance lors de leur prise de poste, plus ils seront efficaces et performants. C’est un dispositif qui profite à tout le monde. »
Avec l’amicale autorisation du Journal Le Point
Nos remerciements à Natacha Czerwinski